Site web du colloque du CRESPPA "Pensée critique du genre : travail, corps, nation" qui se déroulera du 17 au 19 mai 2017 au CNRS, 59-61 rue Pouchet à Paris.
17-19 mai 2017 Paris (France)
Etanchéifier le travail par la mise à distance des émotions, des femmes et de la vie privée
Aurélie Jeantet  1  , Haude Rivoal  2  
1 : Cresppa  (GTM)
Université Paris III - Sorbonne nouvelle
2 : Cresppa  (GTM)
Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis

Même si la sphère du travail continue à se penser du côté de la rationalité et à reléguer les affects dans la sphère privée, la question des émotions trouve une place grandissante dans le monde du travail, comme en attestent de nombreuses analyses sociologiques (Hochschild, 1979 ; Illouz,2006 ; Jeantet, 2012). Certains discours managériaux et communicationnels, alliés aux techniques récentes de gestion des RPS (risques psychosociaux), montrent une attention apparente, en tout cas explicite, aux émotions, au sein des organisations.

Les salariés eux-mêmes s'emparent de ces discours empreints d'affects et se référant au "bien-être", à la "qualité de vie au travail", etc. Ils le font, d'une part, pour tenter d'accroître leurs possibilités de réalisation personnelle au travail (Boltanski et Chiapello, 2000 ; De Gaulejac, 2009 ; Linhart, 2015) et, d'autre part, pour revendiquer de meilleures conditions de travail et dénoncer pression grandissante, souffrance au travail, maladies et accidents du travail à répétition.

Cependant, les souffrances et pénibilités au travail persistant, des défenses sont mises en place, variant selon les métiers, qui consistent souvent à un déni des émotions. Dans les milieux masculins, certaines idéologies défensives collectives vont jusqu'à exclure les femmes ainsi que les hommes qui n'adhèrent pas aux valeurs viriles, et à tenir à l'écart les émotions et la vie privée, dans un clivage du sujet (Dejours, 1980). La domination masculine a un coût (Dulong et alii, 2012), pour les personnes qui n'incarneraient pas un modèle de performance et qui subissent des rapports de domination, mais aussi pour les dominants eux-mêmes.

De quelles manières les nouvelles attentes subjectives et sociales peuvent-elles se concilier avec des stratégies défensives et avec une idéologie répandue dans les milieux de travail qui dénient les émotions ? En quoi ces contradictions et leurs modes de résolutions diffèrent pour les hommes et pour les femmes ? Qu'est-ce que ces évolutions laissent présager comme nouvelles identités professionnelles et genrées ? Dans quelle mesure assiste-t-on à l'émergence de nouvelles règles de sentiments (Hochschild, 2003) et cela transforme-t-il le monde du travail ?

Cette réflexion sera illustrée par les données d'une enquête ethnographique dans une entreprise de distribution (Rivoal, 2015) qui vise à montrer que la plus grande porosité entre vie professionnelle et vie personnelle tend à transformer le modèle dominant de masculinité hégémonique (Connell, 1995). Celui-ci intègre de nouveaux facteurs de respectabilité, notamment au sein du monde ouvrier, comme le fait revendiquer le partage des tâches domestiques et l'éducation des enfants, de prendre soin de son corps, etc. Et cela vient questionner l'étanchéité entre vie professionnelle et vie personnelle.

Sealing off work by distancing emotions, women and privacy

Even if the sphere of work continues to think itself on the side of rationality and to relegate affects to the private sphere, the question of emotions finds a growing place in the world of work, as many sociological analyses attest (Hochschild 1979 Illouz, 2006, Jeantet, 2012). Some managerial and communicative discourses, coupled with recent techniques for managing psychosocial risks, show an apparent, at least explicit, attention to emotions within organizations.

Employees themselves take up these affective speeches and refer to "well-being", "quality of life at work", and so on. On the one hand, they try to increase their possibilities of personal achievement at work (Boltanski and Chiapello, 2000, De Gaulejac, 2009, Linhart, 2015) and, on the other hand, to claim better work conditions and denounce increasing pressure, suffering at work, diseases and repeated accidents at work.

However, because suffering and painfulness to work persist, defenses are put in place, varying according to the trades, which often consist of a denial of emotions. In male collectives, some defensive ideologies go as far as excluding women and men who do not adhere to masculine values, and to keep emotions and privacy out of work (Dejours , 1980). Male domination has a cost (Dulong et al., 2012), for people who do not incarnate a performance model and who are subject to domination, but also for dominants themselves.

In what ways can new subjective and social expectations be reconciled with defensive strategies and a widespread ideology in workplaces that deny emotions? How do these contradictions and their ways of resolving differ for men and women? What do these evolutions suggest as new professional and gendered identities? To what extent do we see the emergence of new rules of feeling (Hochschild, 2003) and does it change the world of work?

This reflection will be illustrated by an ethnographic study in a company of transportation and logistics (Rivoal, 2015) which aims to show a greater porosity between professional and personal life that tends to transform the dominant model of hegemonic masculinity (Connell, 1995). It incorporates new factors of respectability, especially within the working class, as claimed by the sharing of domestic tasks and the education of children, to take care of one's body, and so on. And that comes to question the seal between professional life and personal life.


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