Site web du colloque du CRESPPA "Pensée critique du genre : travail, corps, nation" qui se déroulera du 17 au 19 mai 2017 au CNRS, 59-61 rue Pouchet à Paris.
17-19 mai 2017 Paris (France)
Le genre de la valeur du travail. Quand les juges et les avocat-e-s font les comptes aux affaires familiales
Sibylle Gollac  1  , Abigail Bourguignon  2  , Muriel Mille  3  
1 : Cresppa  (CSU)
CNRS : UMR7217
2 : EHESS
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS)
3 : UVSQ PRINTEMPS
Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ)

Hommes et femmes, marié-e-s ou non, avec ou sans enfant, connaissent des destins économiques inégaux après les séparations conjugales, à la fois en raison des inégalités de revenus entre hommes et femmes qui se jouent sur le marché du travail et du poids de la prise en charge du travail domestique et des enfants, qui continue à peser essentiellement sur les femmes après les ruptures. Ce constat conduit à interroger le rôle de l'institution judiciaire dans l'appauvrissement des femmes après la séparation. Les juges aux affaires familiales sont effectivement chargés de fixer des pensions alimentaires et des prestations compensatoires, respectivement destinées à assurer une contribution équitable des deux parents à l'entretien des enfants et une compensation des inégalités économiques liées à la vie conjugale. Or, visiblement, les décisions prises par les juges comme le travail mené par les avocat-e-s pour défendre les intérêts de leurs client-e-s n'empêchent pas le creusement des inégalités entre hommes et femmes après les séparations.

Cette communication propose d'examiner les calculs économiques effectués par les magistrat-e-s et les avocat-e-s, en première instance comme en appel, pour analyser la dimension genrée de leurs conceptions du travail et ses effets.

En mobilisant notre travail empirique sur les affaires familiales en France, nous souhaitons donner à voir la façon dont l'institution judiciaire invisibilise le travail domestique féminin, ignore le coût d'opportunité de la prise en charge des enfants et travaille de façon différenciée – tant du point de vue du genre que de la classe ou de la race des justiciables – la frontière entre travail domestique et travail professionnel.

Les analyses proposées dans cette communication se fondent sur une enquête collective de longue durée menée dans plusieurs juridictions en France métropolitaine. Elle a débuté entre 2009 et 2011 par une enquête de terrain dans quatre tribunaux de grande instance (TGI), associant l'observation de 330 affaires en audience, des entretiens avec des JAF et d'autres professionnel-le-s du droit de la famille (greffières et enquêtrices sociales principalement), ainsi que l'analyse, qualitative et quantitative de 500 dossiers judiciaires.

Depuis 2013, elle se poursuit, selon la même méthode, dans deux cours d'appel et dans plusieurs cabinets d'avocat-e-s, ainsi que par l'exploitation statistique de 4000 dossiers judiciaires. Nous avons ainsi mené des entretiens avec 10 JAF de cour d'appel et 48 avocat-e-s, et assisté à 48 rendez-vous avec des client-e-s chez 14 avocat-e-s différent-e-s et à 16 demi-journées d'audience de cour d'appel. Nous nous appuierons donc sur des matériaux de nature diverse (observations, entretiens, archives), analysés aussi bien qualitativement que quantitativement.

The gendered value of work. When judges and lawyers do the maths

After a marital breakdown, the economic fate of men and women, married or not, with or without children is unequal. First of all it is due to the job market income inequalities between men and women. But it is also due to domestic and parental work which still essentially lays on women after break ups. This observation leads us to question the role of the judicial institution in maintaining these inequalities. As a matter of fact, family judges are in charge of setting child support amounts to ensure a fair contribution of both parents to child maintenance. They also set compensatory benefits, which is aimed to compensate discrepancies in the standard of living after a divorce. Yet decisions taken by family judges as well as the representation work by lawyers to defend their clients best interests fail to prevent growing inequalities between men and women after a breakup.

This communication looks further into the economic calculations made by judges and lawyers, especially at the court of appeals, in order to analyse how gender plays a part in their definitions of work and of its value. We will study how they treat and measure differently professional work and domestic work of men and women, depending on their class and gender position. Mobilizing our empirical work on family courts in France, we would like to shed light on the way the judicial institution makes the women domestic work invisible, ignoring the opportunity cost of the care for children. We show also how legal professionals draw differently the border between domestic and professional work depending on the class, gender and race of litigants.

Our paper is based on the results of a long-term collective research project carried out in several jurisdictions. The investigation began between 2008 and 2009 with fieldwork in the family courtrooms of four Tribunaux de Grande Instance (TGIs) (regional judicial courts)1, combining the observation of hearings (330 cases), interviews with judges and other law professionals and the qualitative and quantitative analysis of a database of 500 judicial files. Since 2013, the research goes on with the same methodology in two Courts of Appeals and in lawyers offices, and with the statistical processing of a larger database of 4000 judicial files. Thus we have conducted interviews with 10 appeal judges, 48 lawyers and observed 48 appointments between l4 lawyers and their clients and 16 hearings in courts of appeal.

1 The TGI is one of several courts with original jurisdiction. It is a civil court, bellow the Court of Appeals and the highest court, the Cour de Cassation. These “judicial courts”, where civil and penal matters are heard, are separate from administrative courts, which operate under a different hierarchy.


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