La connaissance de ce que fut la colonisation passe souvent soit en suivant les récits militaires soit par la relecture des textes juridiques. Les premiers s'intéressant au rapport de force par lequel la colonisation s'est faite appropriation des espaces et de l'humain quand la seconde montre le long chemin de la pérennisation de la dépossession et de la relégation. Une telle lecture, se limitant aux grands événements et à l'aspect purement formel, passe à côté de la quotidienneté ou plus simplement à côté des petites gens qui ont dessiné le visage des colonies. Or, la vie de ces dernières ne peut se réduire uniquement à une succession de batailles de « pacification » ou un code qui va dicter le lourd tribut à payer par les vaincu.e.s.
Le rapport entre les colonisé.e.s et les différents échelons de la colonisation peuvent aussi se concevoir dans la multitude des points dans lesquels s'affirmait l'autorité coloniale. Un de ces points nodaux fut incontestablement le terrain médical et hygiéniste. Terrain essentiel d'abord pour assurer une présence durable des Européens et ensuite pour asseoir et servir de garant à la supériorité raciale. Mon intervention portera sur les discours hygiénistes et leur focalisation sur les à-côtés du diagnostic médical. Les mots des médecins deviennent dans ce cadre un véritable réquisitoire contre les mauvaises mœurs des « indigènes ». Le genre et la sexualité furent des arguments majeurs pour démontrer l'écart racial entre la civilisation européenne, porteuse d'idéaux émancipateurs, et la société « indigène » ancrée dans les méandres de l'histoire.
En effet, en dépit de l'appropriation totale des territoires, la fixité des frontières entre les identités coloniales n'était pas aussi évidente qu'elle semblait l'être. C'est la différence sexuelle et un ordre moral strict qui serviront à définir les marqueurs raciaux. Les discours hygiénistes et médicaux contribueront à établir cette grammaire raciale qui devait ainsi installer durablement une différence non plus seulement culturelle mais inscrite dans les chaires.
